jeudi 31 juillet 2014

Et les pacifistes alors ?


Il n’était pas facile en juillet 1914 de tenir un discours pacifiste. La perte de l’Alsace-Lorraine, après le Traité de Francfort de 1871, était vécue comme un deuil national, entretenu dans l’esprit de la jeunesse par les instituteurs, ces « hussards de la République », comme on les appelait. La durée du service militaire était de sept ans, période durant laquelle les officiers supérieurs se faisaient craindre et respecter, et imposaient leur sens de la discipline et le devoir patriotique. Le prestige de l’uniforme imprégnait tous les esprits, et la caste militaire bénéficiait d’une grande considération dans tous les milieux. Même les Chrétiens s’étaient mis à honorer plus particulièrement Jeanne d’Arc, cette héroïne animée d’un esprit divin, qui avait aidé militairement Charles VII à reconstituer l’intégrité de la terre de France, menacée d’être soumise à l’étranger. Dieu lui-même aimait la France et appelait au patriotisme et au sacrifice.



Dans ces conditions, le socialiste Jean Jaurès montra un grand courage à tenter de couvrir le brouhaha des bellicistes, par un appel à la civilisation, à la raison et à la paix. Il fut raillé par la presse, soupçonné d’être un agent de l’Allemagne, et finit par être assassiné le 31 juillet 1914,  deux jours avant le commencement de la guerre.



Voici deux extraits du discours qu’il tenait à Rochefort le 5 juillet 1914 :

« Nous sommes dans une Europe qui se prétend civilisée. Voilà vingt siècle qu’est mort sur le gibet du Calvaire l’homme dont des milliers et des milliers de chrétiens ont fait leur Dieu, et il disait : Paix aux hommes de bonne volonté. Et comme lui nous disons : Paix entre les nations et que les peuples règlent leurs différends par la raison et par l’arbitrage  au lieu de se déchirer les entrailles.[…]

A chaque instant, à chaque minute, les hommes interrogeant l’horizon, se disent : est-ce qu’on ne va pas être appelés à la guerre ? Pourquoi, ô mort ! viens–tu prendre des milliers et des milliers d’êtres pour les dévorer ? Quel est ton titre ? Que veux-tu ? – Alors on dit : il y a un traité secret… Régime absurde ! Et même quand elle n’éclate pas, la menace de guerre laisse un froid entre les nations. On se menace, on se regarde d’un œil sombre : Toi, tu veux m’attaquer. – Non, c’est toi… C’est là toute l’histoire… »


mercredi 30 juillet 2014

Dans un livre d'histoire


En guise d’introduction, citons ce texte très pédagogique de Jacques Bainville, contemporain des événements, qui dans sa Petite Histoire de France, en extrait sobrement la substance historique.


« A la fin du mois de juillet 1914, l’ambassadeur d’Allemagne à Paris avertit le gouvernement français qu’il lui ferait la guerre si la France restait fidèle à l’alliance russe. A la vérité, l’Allemagne cherchait un prétexte quelconque, et c’était bien la France qu’elle avait l’intention d’attaquer. On négociait encore, lorsque Guillaume II inventa que des avions français étaient venus voler au-dessus de Nuremberg, et la guerre nous fut déclarée.

            Ce fut la plus grande guerre et la plus terrible de tous les temps. Non seulement elle dura plus de quatre années, non seulement dix millions d’hommes y périrent, non seulement on se battit dans presque toute l’Europe, mais l’Allemagne était si forte et si dangereuse pour la liberté des autres peuples, que vingt-sept nations, y compris la grande république des Etats-Unis d’Amérique, surent s’unir pour venir à bout de l’empire allemand.

Dans cette lutte ce fut aussi la France qui fit le plus de sacrifice après avoir sauvé le monde à la bataille de la Marne. »

lundi 28 juillet 2014

Le jardin de Léopoldine (nouvelle)

Jamais le jardin n'avait été aussi beau ! Tout était parfait. Les lignes de haricots étaient bien régulières, les épinards ouvraient de larges feuilles d'un vert tendre, les choux commençaient à s'arrondir. Les raisins de la treille étaient formés, le pêcher amènerait beaucoup de fruits en août.
On était en  1914. Léopoldine et Jean étaient mariés depuis cinq ans. Elle avait quitté Savignac pour venir vivre ici, dans son village à lui. Ils avaient de la chance : Jean gagnait bien sa vie comme artisan charpentier. A l'âge de trente ans, il possédait déjà sa propre maison dans le bourg, une petite bâtisse de trois pièces avec la cuisine au centre et une chambre de chaque côté.  Celle qui était située derrière la cheminée accueillait leurs deux belles petites filles. Jean partait tôt, travaillait dur sur les toits de la région et rentrait fourbu pour dîner. Le dimanche, il pêchait ou chassait suivant la saison.
Léopoldine vaquait aux soins du ménage : tout brillait chez elle. Tous s'accordaient pour dire que la femme du Jean tenait bien sa maison. Mais ce que Léopoldine aimait surtout, c'était son jardin. D'avril à novembre, il n'y avait pas un matin où elle ne s'y rendit avant même d'avaler son bol de café au lait. Elle cherchait ce qui avait poussé depuis la veille, arrachait deux ou trois timides mauvaises herbes, picorait quelques framboises, soupesait les grappes de groseilles et rentrait s'occuper des petites. L'après-midi était réservée aux gros travaux : cueillir les pois, repiquer les oignons, arracher les pommes de terre... Jean ne l'aidait jamais au jardin. Léopoldine le regrettait à peine : il avait tant à faire chez la clientèle. Non, elle ne se plaignait pas mais remarquait tout de même que les maris des voisines daignaient sarcler ou arroser les jeunes plants.
Le printemps 14 était arrivé tard. A la fin avril, tout était encore à faire. Léopoldine, à son habitude, n'avait rien demandé à Jean. Et pourtant, chaque soir il s'était volontiers mis à l'ouvrage, peu de temps, mais  suffisamment pour que la physionomie du jardin en soit transformée. Il avait eu l'idée de mêler fleurs et légumes, capucines et salades, soucis et carottes. Un dimanche de mai, il avait même planté des tuteurs en châtaignier près d'arbres fruitiers qui lui semblaient fragiles. Il avait pris l'initiative d'éclaircir sur les poiriers et de changer les fraisiers de place, disant à Léopoldine qu'ainsi, elle ferait plus commode.
Léopoldine était un peu surprise mais surtout ravie du changement d'attitude de son homme. Et puis, tout allait si bien… Les petites grandissaient, elles pourraient bientôt commencer l'école. L'argent rentrait régulièrement et Jean était un bon mari. Elle avait vraiment de la chance. Bien plus que sa soeur Noélie qui avait épousé un fainéant, méchant quand il avait bu, avare quand il avait quelques sous. Noélie demeurait à Savignac, près de la ferme de leurs parents qui l'aidaient à joindre les deux bouts. Elle rendait rarement visite à Léopoldine.  
Pourtant, le jour de la Saint-Ignace*, elle arriva à pied, seule. Elle était venue au chef-lieu avec le père de son homme qui devait y voir un rebouteux pour soigner ses vieilles douleurs. Elle avait fait seule le détour pour voir sa soeur et ses nièces. Léopoldine prépara le café, sortit des douceurs et après l'échange des nouvelles, proposa de montrer le jardin.
Noélie regarda tout, en femme qui s'y connaît. Il lui arriva de s'extasier sur la vigueur des plants de cassis ou le nombre des fleurs de courge. Quand elle eut fini son tour, elle déclara:
_"Ton jardin est beau, Léopoldine, trop beau, il devine malheur !"
Léopoldine** fit mine de ne pas entendre, ne répondit pas mais le soir, encore troublée, elle fit part à son mari de la remarque de Noélie. Jean la rassura : 
"Ce sont ces histoires de guerre avec les Prussiens qui lui auront monté à la tête, on en parle dans les bourgs. Des fous, ceux qui racontent ça ! il fait bien trop beau ! Va me chercher du raphia, je vais attacher tes tomates."

Josette Calandreau

* 31 juillet

 ** Je n'ai pas choisi ce prénom au hasard... Il évoque un grand malheur et Victor Hugo faisait partie de la culture des Poilus.

vendredi 18 juillet 2014

Tombeau


Réfléchissant à notre projet d'ouverture d'un blog consacré à nos "Morts pour la France", je me suis souvenue de l'existence d'un genre poétique, le Tombeau. J'ai voulu faire une petite "recherche", j'ai cliqué sur Wikipedia... et j'ai trouvé exactement la démarche que je souhaitais adopter. 
Dès le début de l'humanité, les hommes  ont honoré les morts et protégé leur dépouille mortelle des charognards. Avec l'écriture, sont apparues des inscriptions funéraires sur les tombes. Le Tombeau poétique est un genre littéraire qui trouve ses origines dans les épitaphes grecques, souvent gravées sur les tombes, mais qu'on peut aussi  trouver sous forme  d'anthologies. 
Au Moyen Âge, une des épitaphes poétiques les plus connues est la Ballade des pendus de François Villon. Le tombeau poétique de la Renaissance est un recueil collectif qu'on peut dire composé de plusieurs épitaphes. Les poètes y sont honorés et célébrés par leurs pairs ; le Tombeau poétique est aussi destiné à un roi, une reine, ou une personne proche de la famille royale. Ces tombeaux peuvent aussi honorer  la mémoire d'un proche disparu. 
Leur raison d'être était multiple ; rendre hommage à un disparu, célèbre ou proche ; montrer son érudition (les poèmes étaient rédigés en latin, grec, hébreu, traduits du latin en grec, du grec en latin ou en français); causer une émulation entre auteurs.
Voilà : tout est dit. Guy et moi souhaitons honorer les morts et sauver leur mémoire de l'oubli, écrire pour eux un recueil à deux voix, partager notre passion pour la Grande Guerre et l'entretenir en recherchant des documents historiques ou des textes  littéraires.
En homme et femme du vingt-et-unième siècle, c'est sur la toile que nous graverons les épitaphes.
Texte de Josette Calandreau

Le centenaire de la Grande Guerre concerne tous les Français, même ceux des régions les plus reculées et les moins exposées aux dégâts collatéraux  du conflit. Car chaque commune a donné de son sang pour sauver la Patrie que chacun portait dans son cœur. Clermont d’Excideuil l'a répandu généreusement puisque presque la moitié des hommes d’une classe d’âge de notre village a péri au milieu des batailles qui se sont échelonnées d’août 1914 à novembre 1918 dans le Nord et l’Est de la France surtout, mais aussi à l’étranger.

            C’est à ces vaillants soldats de chez nous, et à travers eux à tous les hommes qui se sont sacrifiés, que nous voulons, Josette et moi, modestement rendre hommage par quelques articles éclectiques qui, à la manière d’un tombeau, devront susciter chez nos lecteurs le souvenir et l’émotion.

Texte de Guy Frysou