mardi 30 décembre 2014

Angoisse de soldats



Angoisse de soldats


   La nouvelle année approche. Quel avenir immédiat pour nos soldats engagés sur le front de la Meuse ? Ceux qui sont en première ligne ? Les autres ? Le manque d’information, la discrétion, la discipline  font croître l’angoisse de l’inconnu dans une atmosphère glaciale et morbide. Genevoix rend compte de cette ambiance dans son livre La Boue, au moment de la transition entre1914 et 1915.


 Image floue, d’après Christian Boltanski 



Il fait si froid qu’on ne pense à rien. Une aube incolore sourd de tout le ciel. On avance, engourdi, sans rien voir que la route pâle, et vaguement parfois, debout en avant du taillis, un grand hêtre isolé qui ressemble à un arbre de pierre.

            Quand nous arrivons à la cabane du cantonnier, nous nous apercevons qu’il fait jour. Et aussitôt, au creux de nos poitrines, une sensation bizarre point et grandit, une sorte de chaleur pesante qui ne rayonne pas, qui reste là comme un caillou.

« Ligne de compagnie, face à gauche… ».

On s’arrête bordant le fossé.

« Sacs à terre… »

Le capitaine Rive* nous appelle. Ses moufles pendues au cou par un cordon, il y plonge les deux mains à hauteur de son estomac. Et ces mains empaquetées et pendantes lui donnent une allure blessée, une allure infirme qui fait mal à voir.

« Quelques mots à vos hommes, n’est-ce pas ? Les classe 14 surtout… N’oubliez pas que nous sommes réserve de réserve… Insistez sur l’importance de notre préparation d’artillerie…Tout le monde couché si l’artillerie boche riposte. »

            Quelques mots à mes hommes ? Sans doute. Mais les mots que je voudrais leur dire, je ne pourrai pas les leur dire. Le 67 attaque : ils le savent… Pourquoi le 67 attaque-t-il ? Qu’est-ce qu’il attaque ? Dans quelle direction, vers quel but, avec quels espoirs ?… C’est cela que je voudrais leur dire. Et cela, je ne le sais pas, puisque personne ne me l’a dit, à moi.

            Le capitaine Rive, le commandant Sénéchal** le savent-ils ? Si je les interrogeais, ils me répondraient, bons soldats, que nous sommes « à la disposition », que nous n’avons pas besoin d’en savoir davantage.

            On a regardé de loin ce mur, et l’on voudrait savoir ce qu’il y a derrière : on va prendre cette pioche, et taper. Si les pierres sont trop dures, si le fer de la pioche s’émousse et se brise, on prendra la pioche « de réserve » et l’on continuera à taper.

Un coup de canon ; deux autres…Brusquement, une voûte sonore tombe du ciel, jette par-dessus nous des liens sifflants et rapides, qui se croisent, se joignent et se mêlent, tandis que derrière nous, sur nos flancs, devant nous, les coups de départs et les éclatements martèlent la terre, s’y plantent comme des pieux, achèvent de fermer durement le vacarme qui nous emprisonne, et désormais - pour quel temps ? - nous sépare du monde des vivants.

* Alexandre BORD
** Joseph MARCHAL
Maurice GENEVOIX, Ceux de 14, éd. 2013 pp 604-605

mercredi 17 décembre 2014

Sur les routes de la guerre

En Meuse

Les spectacles horribles qui se déroulent sous les yeux des jeunes gens au fil de leurs marches,  ont fait l’objet de récits saisissants. On les imagine inexpérimentés au début de la guerre.

Ainsi, Maurice Genevoix évoque un moment de retraite aux alentours de Verdun en septembre 1914 :

  Nous marchons sur une route poudreuse, la gorge sèche, les pieds douloureux. Nous traversons Malancourt, déjà vu, puis Avaucourt, et pénétrons dans la forêt de Hesse. Des chevaux crevés au bord des fossés, grands yeux vitreux et pattes raides. Un cheval blanc qui agonise soulève lentement la tête et nous regarde passer. Un sergent le tue net, à bout portant, d’un balle en plein front : la bête retombe, pesante et les flancs tressaillent d’un dernier soubresaut.

 La chaleur croît toujours ; les traînards jalonnent la route, affalés sur l’herbe, dans la bande d’ombre qui court le long des bois. Il y en a qui se coulent hors des rangs, s’asseyent avec flegme, extirpent de leur musette un morceau de boule et un bifteck racorni, puis se mettent à manger placidement.

  Parois, Brabant. Grand-halte près du village, au fond d’une cuvette où l’on transpire comme dans une étuve. Je n’ai plus de salive, j’ai la fièvre. Lorsque nous arrivons à Brocourt des lueurs dansent devant mes yeux, mes oreilles bourdonnent. Je me laisse dégringoler sur un tas de gerbes, les membres rompus, le crâne vide. Je me décide à consulter.


  L’aide-major Le Labrousse, un grand gaillard à poils noirs, mâchoire saillante et volontaire, larges yeux qui révèlent  une pensée toujours en éveil, examine les malades sous le porche de l’église. Il distribue des poudres blanches, des comprimés, des pilules d’opium, badigeonne de teinture d’iode des poitrines nues, incise avec un bistouri des ampoules engorgées de sang ou de pus. Deux hommes amènent un être chétif, qui se tortille entre leurs bras, bave par les coins de la bouche et pousse des cris sauvages : un épileptique en pleine crise.

            Quelques heures de sommeil  dans le foin me valent un réveil presque gai. Je suis provisoirement remonté.

Maurice Genevoix, Ceux de 14, éd 2013 pp.53-54


 En Flandres du sud

En octobre 1914 mon grand-père reçoit l’ordre de la Préfecture du Nord de quitter Croix (Nord) avec tous les hommes mobilisables de 18 à 48 ans pour échapper à une rafle prévisible. Il se lance donc  avec son père sur les routes du Nord suivant un itinéraire imposé : Lille, Haubourdin, Halemmes, Santes, Beaucamps, Fournes, Illies, Lorgies, Festubert, Béthune, Lillers, Aire-sur-la-Lys,Saint Omer, Gravelines, pour s’embarquer vers l’Angleterre. Après une étape à Lille, en quittant la Porte de Béthune, ils rencontrent un drôle de type avec une large ceinture rouge qui disaient que tous ceux qui partaient allaient se faire prendre.  L'individu parut suspect à tout le monde et fit redoubler le pas à tous ceux qui s’étaient attardés .  A l’arrivée à Haubourdin , on entend le canon et l’on apprend qu’on se bat à Santes. On ralentit l’allure. M. Garin, un ami rencontré en chemin, avait fait demi-tour : « Passe qui veut, dit-il, moi je suis allé jusqu’au milieu de la ligne de feu, j’en ai vu assez, je rentre à Roubaix ». Sur cet avis le petit groupe de fuyards qui s’était constitué délibère et décide de revenir à Lille et de se renseigner en préfecture. « Le gouvernement ne va tout de même pas nous envoyer dans la gueule du loup ! » .L’itinéraire a changé ; pour éviter les zones de combats, il faudra gagner Aire par Englos, Escobecques, Radinghem Le Maisnil , Fromelles, Laventie et Merville.  Dans sa perplexité le père Frysou fait parvenir un message à sa femme : « Partons destination inconnue ». - « Il ne pensait pas dire vrai »  commente son fils. Les voici donc de retour à Haubourdin , mon grand-père raconte, sur le mode picaresque :

 
 Sur la place nous voyons arriver un détachement de chasseurs avec un capitaine revolver au poing – ceci aurait dû nous ouvrir les yeux sur la proximité de l’ennemi. Père seul avait cette intuition – Moi, voyant les uniformes, je pris confiance en me disant :« Nous serons escortés par l’armée ». Nous passons à Hallennes et voyons encore quelques chasseurs près de l’église. A Englos nous rencontrons Meyer père et fils, Casimitr Maes, et nous nous dispersons à Escobecques pour faire passer les 7° & 8° territorial. Nous continuons un peu et nous voyons défiler une batterie du 15° & 41°, puis un détachement avec deux prisonniers rappelant Don Quichotte et Sancho Pança par leurs tailles. Nous étions dans les terres labourées afin de laisser le chemin libre. Je n’avais jamais tant vu de soldats. J’étais très confiant à l’opposé de Père – d’ailleurs il examinait surtout la double capture puisque c’étaient les deux premiers prisonniers qu’il voyait. A Erquinghem-le-Sec nous rencontrons le convoi qui faisait la halte. Naturellement nous demandons comme aux autres détachements si la route est libre. Ils nous disent que oui et nous leur donnons journaux et tabac. Un peu plus loin nous croisons des gourmiers, spectacle très intéressant, puis nous passons un passage à niveau. Nous prenons un groseille (car il n’y avait pas de bière) à la bifurcation de Radinghem & Bois Grenier.

  Nous étions à peine en route de vingt minutes que j’aperçois Dubourg juché sur un talus. J’allais l’interpeller quand au même moment nous entendîmes plusieurs coups de fusil très sourds, auxquels répondit la fusillade claire des Français. Je regardai alors dans la direction qu’explorait André, je vis une quantité de cavaliers en file indienne à 1 ou 2 milles de nous, mais impossible de distinguer leur nationalité. Tout-à -coup  deux boulets éclatèrent et aussitôt les mitrailleuses françaises répondirent. C’était le convoi qui était attaqué. Comme cette musique nous était tout à fait inconnue nous attrapâmes la chair de poule et chacun s’esquiva de son côté. C’est à ce moment que je vis Caucheteux et Gustave Lebrun. Le moulin à café s’étant tu un moment, la colonne se reforma mais à peine était-elle en marche qu’une fusillade éclata et nous entendîmes les balles siffler au-dessus de nos têtes. Nouvel arrêt.  Puis une clameur : «  Les v’là ! ». Ce fut alors une débandade générale, un véritable sauve-qui-peut. Un instant séparés par la soudaineté de l’attaque, je perdis père de vue et c’est Lebrun qui me le l’indiqua fuyant vers l’église. Peine inutile. A peine l’avais-je rejoint et fait quelques centaines de mètres avec lui que les dragons et uhlans étaient sur nos trousses, tirant et vociférant « Hauss » d’après ce que nous avons pu comprendre. Nous étions dans un champ de betteraves, père buta et tomba. Juste à ce moment le premier cavalier nous dépassa, j’eus juste le temps le lever les mains, père également sitôt relevé. Grâce à notre combinaison d’attacher nos pardessus sur notre sac nous n’avons rien dû abandonner pour lever les mains.


Nous nous dirigeâmes alors vers une pâture non clôturée où après avoir dû sauter un ruisseau nous nous trouvâmes au milieu du cercle qu’ils faisaient autour ne nous. Ils nous y rassemblèrent par quatre. Nous pûmes alors baisser les bras, ils donnèrent même les pardessus et valises qui étaient à proximité. Il était 10 heures. Pendant le rassemblement j’eus le temps de donner de l’alcool de menthe sur un sucre à Père et à Michel.

Quand je me suis vu pris je me suis dit : «  Merde, cha y est ! », et dès lors je me suis attendu à tout.




Quand le rassemblement fut terminé, ils nous conduisirent à travers  les champs de betteraves par le Maisnil pour arriver à Fournes où nous prîmes la grand’route. C’était pitoyable de voir la panique de tous. On aurait facilement suivi notre colonne en pleine nuit tant le sol était jonché de brevets militaires, passeports, portefeuilles, revolvers, couteaux, argent même. A le Maisnil j’ai vu un homme étendu et maintenu par une pique de cavalier, puis une dame en deuil implorer près d’un officier (c’était peut-être madame Liemans ?). Entre Radinghem et Le Maisnil nous fûmes un instant placés dans une drève entre deux haies. Les gourmiers faisaient une contre-attaque et nos sentinelles avaient reçu l’ordre de nous fusiller au moindre geste, au moindre cri. A Fournes on vit un groupe d’officiers dégustant nombre de bouteilles de champagne. Jusque-là nous ne fûmes pas très nombreux et nous dûmes suivre le pas des chevaux (sinon un coup de lance) à travers les terres retournées , jusqu’au poste des Hussards de la Mort avec leurs bonnets et leur fanion enroulé.

Nous fîmes une pause d’un quart d’heure afin de permettre à un groupe venant d’Aubers et Fromelles de nous dépasser, tandis qu’un autre groupe de retardataires se joignait à nous par derrière. Toujours escortés par des cavaliers nous continuâmes notre chemin. C’est alors que nous vîmes les troupes, les canons, les munitions, les convois allemands et que nous  nous rendîmes compte de la situation du Nord. Alors commencèrent les imprécations contre le Préfet, l’état-major etc.

Ceux qui nous accompagnaient, à part quelques enragés, étaient en général très courtois pourvu que l’on marchât. Tout autrement étaient les troupes que nous rencontrions : insultes, bousculades, gestes de mise à mort, nous furent lancés à profusion. Tous d’ailleurs venaient de l’Est. Nous commençâmes alors le défilé tragique – maisons incendiées, pillées, bêtes dépecées où il ne manquait qu’un quartier de quelques kilos et qu’on laissait pourrir, tombes avec casques et képis sur les croix.

Avant d’arriver à Don Sainghin nous vîmes une trentaine de chevaux tués et baignant dans leur sang. (Ils sont alors très gonflés).  A Don le moulin était brûlé et deux soldats faisaient cuire une omelette sur les cendres. Dans la ville-même les maisons de la grand’route non habitées étaient ravagées, le mobilier et le linge jetés dans la rue, le clocher à demi démoli par les obus, nombre de maisons effondrées et les autres portant quantité d’inscriptions. Nous fîmes halte vers une heure. Un paysan ayant donné des pommes à Michel nous partageâmes à quatre, car Bernard de la Place Saint Pierre est avec nous depuis la capture. Il a perdu de vue son neveu Caucheteux et Dubourg.

Je mangeai ma pomme quand je sentis qu’on m’emmenait. C’était un fantassin saoul qui me traînait vers le trottoir. Je me laissai faire machinalement car je n’en menais pas large. Il me remit un seau avec des œufs. J’en donnai trois à père de suite et deux pour moi. Et je distribuai le reste le mieux que je pus. Malheureusement je fus entouré, pressé et plus de vingt œufs furent écrasés dans le seau. N’ayant pas su gober les miens je donnai un œuf et demi aux plus affamés. Puis nous eûmes de l’eau et la permission d’uriner dans une ruelle.

Nous continuâmes sur Annoeulin et enfin Carvin. Tout le long de la route nous avions pu remarquer la discipline de l’ennemi, son équipement et  son organisation magnifique et aussi son service de reconnaissance : chose que le convoi français aurait dû faire plus scrupuleusement puisqu’il a passé à 500 m des batteries allemandes. A la porte de Carvin nous avons attendu une heure et quart dans un fossé afin de laisser passer un convoi, et quel convoi ! Puis vers 6 heures on en parqua une partie à l’église ; quant au reste où nous étions, il fut conduit à la salle des fêtes de la place, dite Cinéma, puis au hangar, enfin nous hébergeâmes à l’écurie en compagnie de la bande Dechaumère. Dans cette écurie il y avait de vieilles bouteilles cassées, des briques, des morceaux de bois, du vieux fumier. On jeta quelques bottes de paille fraîche et nous dûmes coucher là au moins à quinze dans une place de 10 mètres carrés. Mais auparavant quelques soldats avec un officier vinrent faire une ronde pour nous défendre de fumer et ramasser tous les couteaux. Père donna son gros et moi aussi. Mais il nous laissèrent nos canifs et ciseaux.

Nous reposâmes tant bien que mal, mon froc servant de couverture pour le cas où nous serions couchés sur de la mélasse. La nuit, il fit un froid de loup. Les sentinelles commencèrent alors à parler avec ceux qui allaient en griller une dehors, puis nous donnèrent de l’alcool à qui mieux mieux et par chopes. Nous fûmes sciés tout le temps par l’excentrique avec ses « n’et’ pas soldate », puis par un malheureux qui s’était saoulé et qui voulait à tout prix se rebeller.

Alphonse Frysou, Journal de captivité, 10 octobre 1914. (inédit)

mercredi 19 novembre 2014

Journal d'un Français prisonnier en Allemagne


   Mon grand-père, Alphonse FRYSOU, né à Croix près de Roubaix, en 1896, avec son père Lucien FRYSOU (né à Schaerbeek, près de Bruxelles en 1874) fit partie des nombreux civils du Nord de la France qui furent emmenés prisonniers en Allemagne en octobre 1914. Nous lui demanderons bientôt les circonstances de son arrestation, qu’il a consignées dans son journal de captivité tenu rigoureusement de 1914 à 1916.


 Alphonse Frysou en 1912. Il a seize ans. 
Sa bicyclette Salvador a des pneus Dynck Aigle Hutchinson et a coûté 150 F.
             


           En novembre 1914, il traîne son existence au fameux camp de Merseburg près de Leipzig.
  
Voici présentés, cent ans après, quatre jours de sa vie de prisonnier notée dans son journal, qui donnent l’ambiance de la vie du camp, et les nouvelles de la guerre qui y parvenaient. Le conflit est vraiment perçu comme mondial dès cette époque.

NB « tuyaux » veut dire : informations qui circulent. Nous conservons les mentions peu claires.


Samedi 14 novembre    37/36/28     Verglas, soleil, averses
Matin 7 1/2  Jus – tartines confiture framboise, K
Midi   macaroni au lard TB
Soir 4 ½   soupe de pain moisi (refusé hier  par notre capitaine) père sale, moi sucre.

Revue de 9 à 10  - Reprisage – Rassemblement à 3h : on cherche les Zouaves et les Turcos. Abel achète un harmonica. Tuyaux : Russes ont fait 15 000 prisonniers civils – ils sont en Sibérie et très mal logés. On s’occupe de nous à Berne. On va mettre les civils et les soldats ensemble et par nationalités. L’Allemagne réclame indemnités pour tous les prisonniers civils sans échange, mais rapatriement. La France ne veut payer que pour ceux de 18 à 48 ans, les jeunes, vieux et étrangers n’auraient pas dû être pris. Elaboration du programme pour la fête de demain.


Dimanche 15 novembre 14  38/37/29   Passable

Matin 7    jus – rabiot – confiture framboise - K
Midi 11   Julienne- rabiot- confiture k
Soir 3 ½    jus – saucisson blanc 1/10 de pain

Revue de 9 à 9 ½ avec couverture, gamelle, cuiller, essuie. Comme Gueule d’Acier n’est pas là, ça va vite. Je reporte tinette au jus pour me faufiler à la cantine avec Adrien. Grand lavage. La 12° est de corvée et la 13-1ère aux tinettes. – Lessive de chaussettes . Je vais au concert : flûtiste émérite, joue avec son nez en mangeant et en fumant – Catteau et Ladsous avec leurs chansons de circonstances. Pendant ce temps Père fait son barème et met des « daches ? » à ses galoches et reçoit de Gunther l’ordre de faire dormir tête à tête. La quête du concert au profit des nécessiteux a produit 32 marks. Tuyaux : Kronprinz est mort de ses blessures. Victoire française à Nieuport – Les prisonniers faits à Douai 15 jours avant nous seraient libérés. Les Russes quittent notre …


Lundi 16 novembre 14   39/38/30     Pluie

Matin 7    jus – tartines, saucisson blanc fumé K
Midi 11   - riz au lard 
Soir 5   - gruau d’avoine - « tart » chocolat

9 ¼ 9 ½ on nous défend de nous raser – A 3 h alerte avec tout notre bazar sauf les paillasses – à 4 – pour faire place aux 35 000 Russes qui viennent d’être faits prisonniers -  On nous met à 7 sections par chambre soit 140 hommes au lieu de 100. Il y aura donc une chambre de vide par groupe, 3 par compagnie, 24 pour le camp. Nous échouons donc à la chambre 25b. 7 pour 5 paillasses. Il ne fait presque pas clair. On dort comme on peut avec Père. On a une paillasse comme oreiller. Nous mettons les couvertures en draps. Inauguration de la chambre dans l’obscurité par chants divers. La 13° est de corvée – J’écris à Mère. Tuyaux : Départ des civils : 1er décembre. Mort du Kronprinz confirmée par une sentinelle alsacienne. Les Russes sont à 35 km de Berlin. Guillaume II demande un armistice. Nous touchons des nouvelles louches.

Mardi 17 novembre 14    40/39/31   froid excessif, boue

Matin 7 h    jus tart. chocolat
Midi 11     julienne – Saucisson fumé – K
Soir 4 ¼     jus, saucisson blanc, 1/10 de pain – saucisson fumé K

Avons passé une mauvaise nuit, sommes désorganisés pour les tinettes et devons sortir. On sert les groupes entiers dehors et devant les baraques du groupe. A 9 h revue avec torchon. – à 9 ½ appel avec tous les brocs, seaux, bassins, voire gamelles et caisses à rollmops ! (Carré pousse la charge jusqu’à une boîte de sardines). Gueule d’acier nous fait porter du sable jusqu’à 11 h ( fais environ 10 tours). De 1 à 3 même corvée. On fait un enclos pour le chef de chambre. On chipe une paillasse pour nos pieds. Telliez a été volé pendant la nuit. Visite du consul américain aux Anglais. Nous voyons pour la 1ère fois notre situation sur la carte de Corselle.  Tuyaux : carte 69 du 7 ct- Ils y sont encore !! Des Russes disent que leurs patrouilles ont été jusqu’à 18 km de Berlin ! Les Allemands annoncent 40 000 prisonniers russes. – On me dit que j’ai la paillasse d’un mineur pouilleux !

mercredi 12 novembre 2014

Rénovation du monument aux Morts


Notre monument a été érigé en 1924. Il a donc 90 ans. 
Notons l'inscription originale portée sur le drapé : A nos soldats de la Grande Guerre ne rend pas hommage qu'aux morts...
En février 1924, le Conseil Municipal de Clermont approuve la construction du monument aux Morts là où il se trouve actuellement. En mars, le Maire de Clermont, Edmond Faure  passe  sa commande à l’entreprise Rombaux de Jeumont dans le Nord. Il s’ agit  d’un monument de granit belge “France au drapeau”. La ville de Jeumont se trouve sur la frontière et M. Rombaux possède des carrières en Wallonie. Les 30 noms seront gravés et dorés, de même que les prénoms. Le prix, fourniture, transport, pose et main d’oeuvre compris, est de 10 500 F. Une souscription organisée dans la commune, le 10 avril 1924, permet de recueillir la somme de 2135,50 F. Cent sept habitants ont donné.
L’entrepreneur précise sur le bon de commande, peut-être à la demande du conseil municipal, que  ni la matière première ni la main d’oeuvre ne seront d’origine allemande. 

La gravure d'origine s'est doucement effacée au fil des années... Repeindre les lettres aurait été relativement coûteux et peu durable.
Le conseil municipal a donc choisi de faire poser une plaque de marbre portant les 30 noms " à l'identique" : mêmes caractères, même ordre, même disposition.
Le devoir de Mémoire est accompli. Pour eux, merci.



dimanche 9 novembre 2014

Antoine Petit


Antoine Petit était le fils de Jean Petit et de Marie Daniel, notés dans nos registres comme cultivateurs à la Valade, en fait à l'endroit appelé aujourd'hui le Tuquet. Il avait épousé MarieVillot le 22 décembre 1911. 
Il avait au moins un frère Julien, qui sera tué en février 1916 en Alsace et une soeur prénommée Marie comme leur mère. 
Antoine et Julien sont les grands-oncles de Daniel Paillet et de sa soeur Roselyne.



Antoine Petit repose à la nécropole nationale de Chauny. 
De violents combats ont eu lieu dans cette ville de l'Aisne, prise par les Allemands dès le 1er septembre 1914. Après la bataille de la Marne, les Français n'arrivent pas à la reprendre et elle restera occupée jusqu'en 1917. Elle sera bombardée par l'aviation alliée et détruite en partie. 


Ceci est une carte postale sans doute éditée en 1914, vu l'uniforme du soldat et le costume alsacien de la jeune femme mais envoyée en 1916 par Georges Conangle, de la Valade à Marie Petit. La carte a été postée à Casteljaloux.


mardi 21 octobre 2014

Roger Condaminas

Encore une victime de la bataille de la Marne, encore un Mort pour la France originaire de Puyssegeney... Sa maison, dans le bas du village, appartient à la famille Soden. C'est celle de gauche quand on vient du haut.
Roger Condaminas était le fils des époux Clémence Lagorce et Julien Condaminas, cultivateurs. Il avait épousé à Anlhiac, le 26 août 1911, Madeleine Dutreuil. Sur l'acte  de décès dont la fin est recopiée ci-dessous, établi cinq ans après, il est noté veuf sans enfant. 
Pour Roger Condaminas, une filleule, comme on dit ici.

Conformément à l'article 77 du Code Civil, nous nous sommes transportés auprès de la personne décédée et assurés de la réalité du décès.
Dressé par nous, Philippe Curtel, officier d'administration 2ème classe, gestionnaire hôpital d'évacuation. V.officier de l'état civil, sur la déclaration de Bertholet Paul, sergent et de Benoît Cattus Joseph, sergent 14ème section d'Infirmiers militaires, témoins qui ont signé avec nous après lecture.
Signé : Bertholet Paul, 1er témoin, Benoît Cattus Joseph, 2ème témoin et Philippe Curtel officier de l'état civil. 
Vu par nous Albert Vandenbassch médecin chef de ladite formation militaire pour légalisation de la signature de M. Philippe Curtel, sus qualifié.
Signé A.  Vandenbassch
Mon attention a été attirée vers les noms des témoins pour une raison bien personnelle :
je sens les Antilles (Haïti pour moi, mais plus vraisemblablement la Guadeloupe ou la Martinique) dans le nom de Benoît Cattus Joseph.

Au loin, Puyssegeney...

mercredi 24 septembre 2014

Jean Bounidon

 Bounidon Jean est le premier des noms inscrits sur notre monument.  Cet homme était né (un 29 février !) à Saint-Germain-des-Prés de François Bounidon et de son épouse Françoise Bouillon. Il avait épousé Aline Couzinou (le mariage n'avait pas été célébré à Clermont) et sa dernière résidence connue est Clermont d'Excideuil, vraisemblablement à Autrevialle*. Le nom de famille Bounidon est classé  sur des sites de généalogie comme originaire du Périgord (Le Change, St-Sulpice...) et considéré comme disparu.
*Renseignement trouvé sur l'acte de mariage d'Aline Couzinou, veuve  de Jean Bounidon avec Pierre Sudreaud, forgeron, né à St-Médard d'Excideuil le 13 décembre 1986, demeurant au village de la Croix de l'Arbre. On y apprend aussi qu'elle était née à Vauzelle, commune de St-Médard-d'Excideuil, née le 23 février 1890

Vaux-lès-Palameix est un tout petit village de Lorraine qui a beaucoup souffert de la guerre. L'écrivain Alain-Fournier (l'auteur du Grand Meaulnes) a été tué à proximité le 22 septembre. Pour plus de détails 
Cependant, dans le registre des actes de décès de Clermont, il est écrit que Jean Bounidon est mort à St-Maurice-sur-les-Côtes (commune voisine).

Pour lui, ces 3 strophes d'un long poème de Charles Peguy, mort au combat le 5 septembre.


Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,

Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre.

Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre.

Heureux ceux qui sont morts d'une mort solennelle.



Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles,

Couchés dessus le sol à la face de Dieu.

Heureux ceux qui sont morts sur un dernier haut lieu,

Parmi tout l'appareil des grandes funérailles.

...

Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés

Dans la première argile et la première terre.

Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre.

Heureux les épis murs et les blés moissonnés.





mercredi 17 septembre 2014

François Lambert


François Lambert naquit  le 17 (et non le 7)  janvier 1893 à la Lande*, de père inconnu. Sa mère, Françoise Lambert, était cultivatrice. L'enfant a été présenté par son grand-père. Les témoins étaient Jean Aublant, charbonnier à la Lande et Jean Lascaud, cultivateur à Nègre-Vergne. De la classe 13, François Lambert, comme Noël Dieuaide effectuait donc son service militaire au moment où la guerre a été déclarée.
*Le lieu-dit la Lande ne compte qu'une maison, propriété de M. Conjaud. Les maisons voisines appartiennent à la commune de Dussac.
Il existe à proximité et sur Clermont un autre hameau de deux maisons : la Lande du Ferrat.


Pour François Lambert, cent ans après, cette étrange guirlande


lundi 15 septembre 2014

Victorien Constant


Victorien Constant naquit bien le 14 juillet 1881, mais pas à Excideuil ! 
Ses parents (Pierre Constant et son épouse née Marie Flageat) occupaient déjà la ferme de la Lande de Javerzac.
Victorien Constant avait épousé en 1905 Marie Lascaux originaire de Sarrazac. Ils eurent un fils, Julien, le père de Guy, maire actuel de Clermont.
la serve, à la Lande de Javerzac

"Dès le 6 septembre 1914, le Mont Moret à Courdemanges va devenir l’enjeu principal des combats autour de Vitry-le-François. Comme sur les autres secteurs de la bataille de la Marne, c’est sur ce mamelon de la côte 153 que le sacrifice des soldats français a fait basculer le sort des armes.. 

La landwehr saxonne s’empare de Courdemanges et du Mont Moret le 6 septembre face aux troupes coloniales françaises. Epuisés et décimés, les coloniaux ont du mal à contenir les troupes allemandes. Le 8 septembre, les fantassins des 126ème et du 326ème R.I. de Brive la Gaillarde, renforcés par un bataillon du 21ème R.I.C. (recrutement de Paris) reprennent d’assaut la côte 153. Dès lors et durant deux jours, les allemands vont bombarder violemment et contre attaquer cette hauteur devenue la charnière de la partie Est du champ de bataille de la Marne. 

L’armée allemande est stoppée sur toute la ligne de front et donnant des signes de lassitude, elle amorce sa retraite le 10 septembre au soir. Les hommes des 126ème et 326ème R.I. descendent les pentes bouleversées du Mont Moret pour rejoindre Blacy, Loisy et Couvrot le 11 septembre. 

Aujourd’hui, ce mont porte à certains endroits encore les stigmates de cet affrontement (excavations d’obus,…), empreintes tragiques que le temps n’a pas effacées. Cette modeste hauteur coiffe le sud du pays vitryat et témoigne de son importance, par la lecture du paysage qu’elle permet."

Dans l'acte de décès retranscrit dans nos registres dès 1916, il est dit que Victorien Constant a été tué à Chatelraould-Saint-Louvent. Thièblemont et Courdemanges sont des communes voisines, dans la Marne, près de Vitry-le-François.
Extrait de l'acte :
Conformément à l'article 77 du Code Civil, nous nous sommes transportés auprès de la personne décédée et assurés de la réalité du décès. Nous n'avons pas pu nous transporter auprès de la personne décédée en raison de nos fonctions spéciales et des circonstances du combat.
Il est donc sous-entendu que le corps n'a pas été retrouvé, (le soldat Constant ayant vraisemblablement péri sous les tirs d'obus). Un sergent et un caporal témoignent  de la mort, à 15 h sur le champ de bataille...
Javerzac, 13 septembre 2014, fleurs bleues et vieilles pierres

mercredi 10 septembre 2014

Joseph Devaux

Joseph Devaux naquit le 10 avril 1890 à Puyssegeney, fils d'Anne Tallet et de son époux Firmin Devaux (qui signait Deveaux). La ferme familiale (détruite plus tard par un incendie) se situait sur le terrain de la maison de la famille Jacquot. 

Ernest T(h)omasson et Joseph Dev(e)aux, sensiblement du même âge et proches voisins, ont sans doute été mobilisés le même jour. Ils ont dû prendre les mêmes trains et subir ensemble les  marches épuisantes de la fin août 14. Joseph a-t-il eu le temps d'apprendre la mort d'Ernest ? Quelle famille a été prévenue la première du décès de son enfant ? Pourquoi le sort semblait-il s'acharner sur ce hameau ?
Joseph Devaux repose à Sedan, dans le  carré militaire St-Charles, tombe 266.
En hommage, ce bleu-blanc-rouge végétal...
Gandumas, septembre 2014, prunelles, chardon, alises



lundi 1 septembre 2014

Ernest Tomasson



Ernest Tomasson naquit à Puyssegeney* le 9 octobre 1889, de  Léonard Tomasson, cultivateur et de son épouse Elise Laplagne. Il fut mobilisé début août en tant que caporal au  7ème RI et disparut à Sainte-Marie-à-Py (Marne) le 2 septembre 1914. Un jugement du 4 juin 1920 le reconnut Mort pour la France.
Sur notre monument, son nom est écrit Thomasson. 
* L'orthographe du hameau a évolué : on écrit plus volontiers Puyssegenet de nos jours.  Je n'ai jamais pensé que ce toponyme évoque les puits et les genêts et j'ai plutôt choisi, en hommage à ce jeune homme, ces glands de la fin du mois d'août.
 Nous ignorons dans quelle ferme vivait la famille T(h)omasson. 


Sainte-Marie-à-Py se situe à la limite du département des Ardennes. La population de ce village était de 414 en 1911 et de 194 en 1921 et n'a pas vraiment remontée depuis. Le village a été longuement occupé par l'armée allemande. Sur son territoire se trouve le monument aux Morts des Armées de Champagne.




Le village occupé pendant la Première Guerre mondiale, 

autochrome de Hans Hildenbrand de 1915 .

mardi 26 août 2014

Noël Dieuaide


Noël Dieuaide est le premier Clermontois Mort pour la France, le 28 août 1914.
Ce tout jeune homme était né le 25 décembre 1893, dans la petite maison familiale, celle où vit aujourd'hui Aurélie Foueytille. On dit que c'est "au bourg" mais à l'époque, on disait "le Bost". Son père s'appelait Jean, sa mère Jeanne Elier. Le couple eut 7 enfants, dont Zélia (Zélie Foueytille, épicière) qui reprendra avec son mari la maison et la fera agrandir.
Le jeune Noël, de la classe 13, avait été appelé sous les drapeaux pour une durée de 3 ans. Il était au 78° RI. Son régiment, ainsi que toute la 23ème division d'infanterie, avait été dirigé vers la frontière belge afin d'empêcher la progression de l'armée allemande. Mais il avait fallu battre en retraite le 22 août. Le 27 août, le régiment était à Raucourt et le 28, il fut engagé dans un violent combat, face aux mitrailleuses ennemies. Les pertes furent très sérieuses : 21 officiers, 48 sous-officiers, 835 caporaux et soldats.
Noël Dieuaide est porté disparu puis reconnu Mort pour la France par jugement du 22 octobre 1920. Il repose à la nécropole nationale de Sedan-Torcy (sépulture 445). 






lundi 11 août 2014

La mobilisation

Dans le livre Jules Matrat (du nom du héros, paysan dans la région de Saint-Etienne), Charles Exbrayat raconte la journée du 3 août 1914.

Les Matrat ramassaient le foin juste derrière leur ferme. Le soleil de midi tapait dur. Jules avait enlevé sa chemise et, torse nu, jetait de lourdes fourchées au Tonin qui, debout sur la voiture, les répartissait. Le char rempli, les deux hommes unirent leurs efforts afin de tendre la corde qui maintenait le chargement, et Jules passa devant les boeufs pour les faire avancer...
 ... En les entendant venir, la Guite apparut sur le seuil.
_ C'est quasiment prêt les hommes, je fais l'omelette...
... La Guite finissait de garnir les assiettes lorsqu'on entendit marcher dehors et que Turc, le chien, se dressa en grognant, le poil hérissé. On frappa à la porte que Jules avait refermée à cause du soleil. La mère cria d'entrer, et Tonin dut retenir la bête au moment où les gendarmes pénétraient dans la maison. Les Matrat étaient tellement étonnés de les voir, ceux-à, qu'aucun ne pensa à leur souhaiter le bonjour.
_ C'est bien ici chez Jules Matrat, cultivateur ?
Tonin se mit à rire.
_ Alors, Honoré, c'est-y que tu me connaîtrais plus ?
Le gendarme rougit.
_ J' suis pas en promenade, Matrat, et pour l'amitié, c'est pas le moment... Si j'interroge, c'est que c'est le règlement... et il me semble qu'on ne m'a pas répondu ?
Jules se leva :
_ Je suis là...
Le brigadier lui tendit un livret et une feuille de papier.
_ Votre nouveau fascicule de mobilisation... Signez ici...

Déjà les gendarmes atteignaient la porte lorsque la mère les rappela.
_ Dites, ce que vous avez apporté à mon garçon, et que vous lui avez fait signer, sans lui donner le temps de lire, c'est pour quoi ?
_ Son livret militaire... comme qui dirait une sorte de livret de mariage avec l'armée française !
Le gendarme était assez content de lui, mais la Guite n'était pas d'humeur à apprécier l'ironie.
_ Jules, il en a fini avec l'armée ! Il a plus l'âge !
_ Madame Matrat, quand la patrie est en danger, elle a besoin de tous ses enfants !
_ Et ça veut dire quoi, ça ?
_ Que votre fils sera de ceux qui nous vengeront, qui vengeront nos pères, de ceux qui reprendront l'Alsace et la Lorraine, quoi !



samedi 2 août 2014

Le chant du départ

Plus qu’un esprit guerrier, un esprit républicain animait nos  soldats, poussés au départ contre l’ennemi par toute une société avide de liberté, d'égalité et de fraternité. Le Chant du Départ nourrissait l’idéal et donc  le courage de nos aïeux de 1914.  « La fleur au fusil » rapporte la tradition, ils le reprenaient en chœur, en marchant vers leur premier affrontement. En 1794, sur des paroles du frère d’André Chénier, Méhul avait posé des rythmes martiaux, qui ont longuement entretenu l’enthousiasme et l’esprit patriote des républicains.

Un député du peuple

La victoire en chantant nous ouvre la barrière.
La Liberté guide nos pas.
Et du nord au midi, la trompette guerrière
A sonné l'heure des combats.
Tremblez, ennemis de la France,
Rois ivres de sang et d'orgueil !
Le Peuple souverain s'avance ;
Tyrans descendez au cercueil.

Chant des guerriers (Refrain)


La République nous appelle

Sachons vaincre ou sachons périr

Un Français doit vivre pour elle

Pour elle un Français doit mourir.

Une mère de famille
De nos yeux maternels ne craignez pas les larmes :
Loin de nous de lâches douleurs !
Nous devons triompher quand vous prenez les armes :
C'est aux rois à verser des pleurs.
Nous vous avons donné la vie,
Guerriers, elle n'est plus à vous ;
Tous vos jours sont à la Patrie :
Elle est votre mère avant nous.
(Refrain)

Deux vieillards
Que le fer paternel arme la main des braves ;
Songez à nous au champ de Mars ;
Consacrez dans le sang des rois et des esclaves
Le fer béni par vos vieillards ;
Et, rapportant sous la chaumière
Des blessures et des vertus,
Venez fermer notre paupière
Quand les tyrans ne seront plus.
(Refrain)

Un enfant
De Bara, de Viala le sort nous fait envie ;
Ils sont morts, mais ils ont vaincu.
Le lâche accablé d'ans n'a point connu la vie :
Qui meurt pour le peuple a vécu.
Vous êtes vaillants, nous le sommes :
Guidez-nous contre les tyrans ;
Les républicains sont des hommes,
Les esclaves sont des enfants.
(Refrain)

Une épouse
Partez, vaillants époux ; les combats sont vos fêtes ;
Partez, modèles des guerriers ;
Nous cueillerons des fleurs pour en ceindre vos têtes :
Nos mains tresseront vos lauriers.
Et, si le temple de mémoire
S'ouvrait à vos mânes vainqueurs,
Nos voix chanteront votre gloire,
Nos flancs porteront vos vengeurs.
(Refrain)

Une jeune fille
Et nous, sœurs des héros, nous qui de l'hyménée
Ignorons les aimables nœuds ;
Si, pour s'unir un jour à notre destinée,
Les citoyens forment des vœux,
Qu'ils reviennent dans nos murailles
Beaux de gloire et de liberté,
Et que leur sang, dans les batailles,
Ait coulé pour l'égalité.
(Refrain)

Trois guerriers
Sur le fer devant Dieu, nous jurons à nos pères,
À nos épouses, à nos sœurs,
À nos représentants, à nos fils, à nos mères,
D'anéantir les oppresseurs :
En tous lieux, dans la nuit profonde,
Plongeant l'infâme royauté,
Les Français donneront au monde
Et la paix et la liberté.
(Refrain)

jeudi 31 juillet 2014

Et les pacifistes alors ?


Il n’était pas facile en juillet 1914 de tenir un discours pacifiste. La perte de l’Alsace-Lorraine, après le Traité de Francfort de 1871, était vécue comme un deuil national, entretenu dans l’esprit de la jeunesse par les instituteurs, ces « hussards de la République », comme on les appelait. La durée du service militaire était de sept ans, période durant laquelle les officiers supérieurs se faisaient craindre et respecter, et imposaient leur sens de la discipline et le devoir patriotique. Le prestige de l’uniforme imprégnait tous les esprits, et la caste militaire bénéficiait d’une grande considération dans tous les milieux. Même les Chrétiens s’étaient mis à honorer plus particulièrement Jeanne d’Arc, cette héroïne animée d’un esprit divin, qui avait aidé militairement Charles VII à reconstituer l’intégrité de la terre de France, menacée d’être soumise à l’étranger. Dieu lui-même aimait la France et appelait au patriotisme et au sacrifice.



Dans ces conditions, le socialiste Jean Jaurès montra un grand courage à tenter de couvrir le brouhaha des bellicistes, par un appel à la civilisation, à la raison et à la paix. Il fut raillé par la presse, soupçonné d’être un agent de l’Allemagne, et finit par être assassiné le 31 juillet 1914,  deux jours avant le commencement de la guerre.



Voici deux extraits du discours qu’il tenait à Rochefort le 5 juillet 1914 :

« Nous sommes dans une Europe qui se prétend civilisée. Voilà vingt siècle qu’est mort sur le gibet du Calvaire l’homme dont des milliers et des milliers de chrétiens ont fait leur Dieu, et il disait : Paix aux hommes de bonne volonté. Et comme lui nous disons : Paix entre les nations et que les peuples règlent leurs différends par la raison et par l’arbitrage  au lieu de se déchirer les entrailles.[…]

A chaque instant, à chaque minute, les hommes interrogeant l’horizon, se disent : est-ce qu’on ne va pas être appelés à la guerre ? Pourquoi, ô mort ! viens–tu prendre des milliers et des milliers d’êtres pour les dévorer ? Quel est ton titre ? Que veux-tu ? – Alors on dit : il y a un traité secret… Régime absurde ! Et même quand elle n’éclate pas, la menace de guerre laisse un froid entre les nations. On se menace, on se regarde d’un œil sombre : Toi, tu veux m’attaquer. – Non, c’est toi… C’est là toute l’histoire… »


mercredi 30 juillet 2014

Dans un livre d'histoire


En guise d’introduction, citons ce texte très pédagogique de Jacques Bainville, contemporain des événements, qui dans sa Petite Histoire de France, en extrait sobrement la substance historique.


« A la fin du mois de juillet 1914, l’ambassadeur d’Allemagne à Paris avertit le gouvernement français qu’il lui ferait la guerre si la France restait fidèle à l’alliance russe. A la vérité, l’Allemagne cherchait un prétexte quelconque, et c’était bien la France qu’elle avait l’intention d’attaquer. On négociait encore, lorsque Guillaume II inventa que des avions français étaient venus voler au-dessus de Nuremberg, et la guerre nous fut déclarée.

            Ce fut la plus grande guerre et la plus terrible de tous les temps. Non seulement elle dura plus de quatre années, non seulement dix millions d’hommes y périrent, non seulement on se battit dans presque toute l’Europe, mais l’Allemagne était si forte et si dangereuse pour la liberté des autres peuples, que vingt-sept nations, y compris la grande république des Etats-Unis d’Amérique, surent s’unir pour venir à bout de l’empire allemand.

Dans cette lutte ce fut aussi la France qui fit le plus de sacrifice après avoir sauvé le monde à la bataille de la Marne. »